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ZEP: Une politique publique institutionnellement non identifiée (absence des textes, flou au niveau des objectifs etc.)
- 01 de abril de 2022
- Posted by: icalde
- Category: News
Au regard des recherches que nous avons pu réaliser à travers la revue des textes officiels de l’éducation sur la période que nous avons circonscrite et à travers les entretiens que nous avons pu réaliser, nous avons abouti au constat suivant : la notion de ZEP apparaît seulement à partir de 2005, dans un document officiel. En effet, le Document de Stratégie Sectorielle de l’Education du Cameroun, en son Chapitre IV, programme d’intervention prioritaire, stipule que : « Pour réussir le pari de parvenir à un développement harmonieux du secteur de l’Education […] L’objectif du gouvernement est d’accroître l’accès à l’éducation de tous les enfants d’âge scolaire et de les maintenir dans le système jusqu’à la fin du cycle. Un accent particulier sera mis sur le renforcement de la scolarisation des filles et des garçons vivant dans les zones d’éducation prioritaires (les provinces de l’Extrême- Nord, du Nord, de l’Adamaoua, du Sud-Ouest et du Nord-Ouest, les poches de sous-scolarisation des grandes agglomérations et des zones frontalières), ainsi que les enfants issus des groupes pauvres ou vulnérables, de même que des groupes marginaux tels que les pygmées, Bororos etc. » (12).
Nous n’avons pas eu connaissance d’un texte d’importance antérieur à celui-ci où il ait été fait expressément usage de cette notion. Cela ne devrait, pour autant, pas laisser présumer de l’absence d’usages « clandestins », informels ou officieux, de cette notion à l’intérieur des réseaux d’échanges bureaucratiques. Nous supposons même que cette formalisation n’est intervenue que comme une cristallisation d’une notion déjà plus ou moins acclimatée au sein des communautés épistémiques présentes au sein de l’appareil institutionnel et ayant influencé la formulation de ce document. Un de nos interlocuteurs nous a ainsi rapporté que : « En effet, un fonctionnaire de l’ancien ministère de l’éducation nationale lors d’un de ses voyages en France au début des années 90, avait assisté aux débats sur l’évaluation de la politique ZEP. Sa faible connaissance de cette notion, a été l’élément fondamental qui aura fait que cette notion ne soit pas inscrite dans le rapport final. » (13). En tout état de cause, il aurait été à ce titre intéressant, pour confirmer ou infirmer cette hypothèse, d’échanger avec des auteurs de ce document et d’étendre nos recherches aux discours prononcés à l’occasion de rencontres officielles au sein de cette administration.
Au titre de textes d’importance où les traces de cette notion n’apparaissent pas encore, citons : premièrement, la Déclaration de Politique Générale d’Education de Base Pour Tous au Cameroun, adoptée en 1991, à la suite de la Conférence de Jomtien. Document qui fait de l’Education Pour Tous la priorité majeure de l’Etat. Deuxièmement, les actes issus des « Etats généraux de l’Education », tenus en 1995. L’objectif de ces états généraux était de faire un diagnostic global des difficultés du système éducatif et de proposer des solutions spécifiques adaptées. Troisièmement, la loi d’Orientation de l’Education au Cameroun de 1998. Cette loi fait de l’Education une grande priorité nationale. Priorité assurée par l’Etat et les partenaires privés. On peut aussi faire référence à la Constitution adoptée en 1996, dont les dispositions du préambule affirment les principes généraux devant guider le service public de l’Education. Ces documents, qui ont en commun d’être de portée générale et d’avoir une fonction d’orientation de politique publique, n’auraient pu, en tout état de cause, faire l’économie d’une notion d’une portée aussi synthétique et désormais référentielle que celle de Zone d’Education Prioritaire, si tant est qu’elle était déjà en circulation dans le réseau d’échange des acteurs dominants de ce secteur d’action de l’Etat. Loin de nous aussi, l’idée de dire que de l’absence de cette notion, il faut conclure à l’absence dans ces textes, des préoccupations égalitaires dont elle est aujourd’hui porteuse.
En effet, déjà dans la Déclaration de Politique Générale d’Education de Base Pour Tous au Cameroun, adoptée en 1991, il est précisé, entre autres objectifs, que « Tout Camerounais, enfant, adolescent ou adulte, doit pouvoir bénéficier d’une formation conçue pour répondre à ses besoins éducatifs fondamentaux [que] L’Education de Base Pour Tous doit être pour chaque Camerounais l’assise d’une formation et d’un développement de l’être humain sur laquelle peuvent s’édifier de manière systématique d’autres niveaux, d’autres types d’éducation et de formation, notamment dans la recherche d’une compétence toujours plus accrue, le renforcement de l’unité nationale, la redynamisation de la vie communautaire et associative, l’ouverture au monde. » Un plan d’action décennal (1991-2000) a été adossé à cette Politique Générale. Une des articulations centrales de ce plan reposait sur la lutte contre les déperditions scolaires par la sensibilisation des parents, l’aménagement du temps scolaire, le frein aux mariages précoces et le renforcement des moyens logistiques.
Préoccupations qui portent en filigrane le schéma d’action qui sera consacré dans le cadre de la formalisation et de la mise en place ultérieure des ZEP. Les Etats Généraux de l’Education accoucheront, quant à eux, en 1995, d’un Plan d’Action ayant pour fins de lutter contre l’exclusion scolaire, réduire les inégalités d’origine géographique, enrayer les obstacles à l’éducation des filles et œuvrer pour la professionnalisation de l’éducation. La loi d’Orientation de l’éducation qui intervient trois années plus tard est une des conséquences directes de ces assises. Cette loi consacre l’éducation comme une priorité nationale. Priorité assurée par l’Etat et les partenaires privés. Elle rend également obligatoire l’Ecole au niveau primaire. On peut donc dire, en paraphrasant une formule littéraire, que « monsieur Jourdan fait déjà la prose. Mais il ne le sait pas encore ».
Postérieurement à 2005, la cristallisation de cette notion devient évidente.Même si ce processus évolue manifestement d’une situation de marginalité lexicale à la plénitude que l’on observe aujourd’hui. Ainsi, à partir de 2006, on peut relever que, dans le cadre de la mise en œuvre du Programme d’Appui au Système Éducatif, le Ministère de l’Éducation de Base du Cameroun a commandé une étude portant « sur la recherche des facteurs qui expliquent les faibles taux de scolarisation, particulièrement ceux des filles, dans les zones d’éducation prioritaires (ZEP) » (14). N’ayant pas pu accéder aux documents à trajectoire interne, c’est-à-dire ceux dont la circulation serait retreinte à l’intérieur de l’administration, nous n’avons pas une idée précise de l’ampleur de cette acclimatation progressive de la notion dans le champ bureaucratique. Remarquons tout de même que les deux documents que nous avons cités (le Document de Stratégie Sectorielle de l’Education et l’étude) et qui sont, d’après nos recherches, les premiers utilisant officiellement cette notion, sont des textes fortement inscrits dans les trajectoires institutionnelles de la Coopération.
Le Document de stratégie de l’éducation évoqué plus haut, est un appendice sectoriel du Document de Stratégie de Réduction de la Pauvreté rédigé en vue de servir de boussole aux actions à mettre en œuvre par l’Etat du Cameroun au vu des accords passés avec ses bailleurs de fonds sous conditionnalité d’annulation de la dette dans le cadre de l’Initiative dite des Pays Pauvres Très Endettés. On peut donc supposer que la grammaire d’usage dans la production de ces documents reflète ce contexte chargée de conditionnalité et de l’influence des bailleurs de fonds. L’acteur contraint ou dominé – ici, l’Etat du Cameroun – étant amené à adopter par désir de séduction ou au travers de diverses formes de violence symbolique, implicite ou explicite, le langage, les signes ou les codes en vigueur ou usités par l’acteur dominant ; les bailleurs de fonds en l’occurrence. Nous abordons dans la suite, cette dimension de l’analyse que nous avons menée quant à l’influence des milieux de la Coopération dans les conditions d’émergence, de circulation et d’appropriation de cette notion dans le contexte camerounais.
- (12) : Document de stratégie sectorielle de l’éducation février 2005. P 95
- (13) : Entretien réalisé le 25 février avec un conseiller technique de la délégation régionale de l’éducation de base de l’Extrême nord.
- (14) : Termes de référence de l’étude sur les problèmes de scolarisation dans les Zones d’éducation prioritaires, Demande de propositions, DP n°026/06/MINESUP/MINESEC/UCP/PASE, octobre 2006.
Herrick Mouafo